Ses os se brisent. Il sent la douleur qui le transperce, d'un coup d'un seul. Son cri de rage se coince dans sa gorge alors que le monde autour de lui se fond et disparaît, l'abandonnant aux yeux du public, aux caméras qui filment la fin de sa carrière - la fin de sa vie dira-t-il - et aux visages stupéfaits des amis qui ne peuvent rien faire sinon hurler de peur et d'inquiétude. Lui, Jenson, s'est déjà endormi, ne gardant ainsi, encore un peu, de l'horrible nouvelle qui l'attendra à son réveil, quelques semaines plus tard.
Ne plus pouvoir marcher. Jamais. Le mot jamais l'a toujours terrifié, il n'a jamais aimé les probabilités, les échéances, encore moins les échecs et les fins de parcours. Son parcours est terminé. - Je suis mort. lâche-t-il, avec un sarcasme morbide, alors que ses amis posent tous sur lui des regards désolés. Alors il se met à hurler, coincé sur son lit d'hôpital, il leur hurle de s'en aller, de lui foutre la paix, qu'il n'est plus rien, qu'il ne veut plus les voir, c'est de la faute de tout l'monde, de la faute de personne, il est mort, il n'a plus rien. Il est pilote, c'est un pilote, il ne sait rien faire d'autre, ça l'a toujours défini, c'est ce qui l'a sorti de la galère, ce qui a rendu son beau-père si fier. Il veut être seul, qu'on le laisse, enfin, qu'il chiale sans être vu sur la vie qu'il a perdu.

Quatre ans, quatre ans d'un long calvaire, d'une existence qu'il n'a jamais accepté. Il regarde de vieilles vidéos sur youtube, des montages faits par des fans qui regrettent son destin détruit - pas autant que lui - et qui lui rendent hommage, comme s'il était mort. Il ferme l'ordinateur d'un geste rageur. Il n'a plus rien si ce ne sont des souvenirs abîmés et une foutue indemnité, versée tous les mois, comme pour lui rappeler que rien, plus jamais, ne changera, et qu'il est dans ce putain de fauteuil jusqu'à la fin de ses jours.
Il n'y a qu'une constante qu'il apprécie, une seule chose qu'il n'a pas réussi, et n'a finalement pas envie, de virer de sa vie. Il pense à Lynn, à ce fichu caractère qui fait qu'elle est la seule à ne pas être partie, à ne pas avoir céder à ses mots durs, ses rejets, ses longs silences. Il voudrait être capable de lui dire de s'en aller, pour de bon, parce qu'il ne supporte pas qu'elle soit avec lui, alors qu'il est... comme ça. Il n'est même plus la moitié du mec qu'il était, et ça le tue, il a la sensation qu'elle gâche sa vie avec lui, parce que la vie est déjà finie.