Tu regardes la foule, un sourire accroché au bord des lèvres, te tournant au grès des voix qui crient ton nom pour une photo, un autographe. Tu entends ce grondement qui ne vit que pour toi, pour venir te voir, même rien qu'une seconde. Ça gonfle ton égo, comme s'il en avait besoin. Tu balades cet air nonchalant qui a fait ton succès sur le tapis rouge, te pliant à l'exercice des photographes, répondant à quelques interviews en compagnie de l'actrice avec laquelle tu partages l'affiche. Aucune fille à ton bras. Elles sont légions à se bousculer pour être à tes côtés dans les pages des magazines, mais même une conquête chanceuse que tu garderais auprès de toi plus de quelques nuits ne t'accompagne jamais aux cérémonies et autres galas et représentations. Aucune d'elle, sans doute, n'a encore mérité que tu lui accordes plus d'intérêt qu'à une autre. Tu prends ta partenaire par la taille, l'entrainant vers la salle où s'apprête à être retransmis ton dernier film. Les flashs s'agitent, on veut prendre une photo de vous deux, tu sais déjà que les torchons qui n'ont rien d'autre à faire que raconter la vie des gens célèbres vont verser de l'encre sur une pseudo idylle. Ça te fait sourire, tu aimes jouer avec les médias, ils s'enflamment au moindre scoop, aussi bidon soit-il. Ton visage apparaît à l'écran, transpirant, paniqué, un casque mal arrangé posé sur le crâne, tu déblatères tes lignes avec une conviction effarante. Nul ne peut se douter que, jamais, tu n'avais pensé faire ce métier. Ton histoire a des airs de success-story, et c'est sans doute ce qui ajoute à ton charme, peut-être pour ça que tu plais autant au public.

T'as débarqué de ton Kosovo natal avec ta mère, ton père et tes frangins, sans un sou, à la recherche d'un toit qui ne risque pas de s'effondrer. La guerre grondait dans ton pays, et les Etats-Unis avaient un goût salutaire, elles brillaient au loin, avec la force de ces territoires qui rien ne peut briser, que rien ne peut atteindre. Les immeubles vétustes ont été ton repère pendant quelques temps, avant qu'on ne vous parque avec d'autres immigrés, en attendant de savoir ce qu'on allait faire de vous. Trois garçons qui n'parlaient pas un mot d'anglais, mais la chance d'avoir un père largement diplômé, qui a pu glaner un emploi et par là-même vous gagner des billets d'entrée définitive sur la terre de tous les possibles. T'as commencé à vivre à  Baltimore, à subir les moqueries parce qu'on se foutait bien de ton accent albanais et de tes difficultés à articuler les subtilités de la langue de shakespeare. Tes frangins se sont intégrés plus vite, plus grands, plus costauds, ils se fondaient bien mieux dans le paysage et castagnaient, de toute façon, ceux qui s'amusaient à rire d'eux. Toi, t'as attendu, tu t'es entraîné, avec une détermination farouche, à pratiquer l'anglais, à en connaître les nuances et les accents. Si bien que ta volonté a battu cette cruauté si propre aux gamins. Et quand un agent a repéré ta belle gueule d'étranger, t'as commencé à jouer devant la caméra, dans des films indépendants surtout, gagnant tes galons d'acteurs sur le tas, et quand le succès a frappé à ta porte, tu ne l'as plus lâché, tu as enchaîné les contrats, te transformant en un monstre d'arrogance, trop fier de ton parcours, de la chance que l'destin a jeté sur ta route et à laquelle tu t'es violemment accroché.